Compte rendu par Jean-José Wanègue
Samedi 22 janvier, la CST et La Semaine du Son, en partenariat avec France Télévisions, La Mission Cinéma et la Réunion des Opéras de France, ont organisé une après-midi de conférences et de débats, suivie en soirée de la projection de l’opéra « Les Noces de Figaro ». Deux sujets d’actualité ont attiré le public à l’Espace Pierre Cardin : le son à l’image 3D et la retransmission d’opéra en salle de cinéma.
Pour la dernière journée parisienne de sa 8e édition, dédiée à la relation son et image, La Semaine du Son avait inscrit à son programme deux sujets d’actualité. Le premier prenait la forme d’une question : « Quel son pour une image 3D ? ». Le second portait sur la retransmission d’opéra en salle de cinéma, un phénomène culturel qui connait un tel succès auprès du public qu’il fallait en analyser les différents aspects. Et pour aborder ces sujets, rien de mieux que l’Espace Pierre Cardin, où la CST organise ses Journées Techniques.
- Si le son m’était conté…
Après les mots de bienvenue de Pierre William Glenn et de Christian Hugonnet, Franck Ernould anima la première partie de l’après-midi sur le son à l’image 3D. Pour commencer, il invita Michel Baptiste, un ingénieur qu’il n’est plus nécessaire de présenter aux membres de la CST, à rappeler les grandes étapes du développement du son au cinéma, depuis 1799 et les fantasmagories d’Etienne Robertson jusqu’aux procédés modernes de son numérique avec les deux leaders Dolby et DTS.
- Alain Besse lève le voile
Il appartenait ensuite à Alain Besse de faire découvrir au public les éléments de la chaîne sonore dans une salle de cinéma et les critères qui permettent d’apprécier l’acoustique d’une salle et le confort d’écoute. Il offrit une véritable leçon d’anatomie des systèmes d’écoute et alla jusqu’à lever l’écran pour montrer à tous ces grosses enceintes dissimulées derrière avec, bien sûr, le canal central. Mais on ne saurait parler de son au cinéma sans parler des niveaux. Même si quelques auditeurs ont paru se noyer dans ses explications techniques sur les décibels, le STI ou le RASTI, le message d’Alain Besse fut compris par tous : l’objectif est d’assurer l’intelligibilité des dialogues pour chacun des spectateurs, où qu’il soit placé, en respectant l’ensemble du mixage pour obtenir l’homogénéité du son dans toute la zone d’écoute.
- 2D ½ plutôt que 3D selon Claude Bailblé
Depuis les succès remportés par quelques blockbusters américains en projection 3D, tout le monde sait ce qu’est le cinéma en relief. Mais l’interaction entre le son et les images 3D est encore mal perçue : tandis que personnages et objets jaillissent de l’écran, le public sent bien que le son ne suit pas. Selon Claude Bailblé enseignant-chercheur et Maître de Conférences au département cinéma de l’université Paris VIII à Saint-Denis, l’image 3D n’est en réalité que de l’image 2D ½ car elle ne fait qu’ajouter de la profondeur : l’œil et le cerveau doivent gérer cet antagonisme entre le principe de d’accommodation et celui de convergence. Au cinéma, le son sert de ciment « colmateur » pour lier la succession d’ellipses projetées sur l’écran et constituant la narration. Avec le cinéma 3D, Claude Bailblé s’est interrogé : « Au lieu que le son s’éparpille sur les arrières et les pourtours, pourquoi ne pas le déployer sur la profondeur en plus de la largeur ? ». Il désignait ainsi une problématique que l’auditoire a pu « expérimenter » durant la soirée avec la projection de l’opéra « Les Noces de Figaro »….
- Le son du cinéma en relief : pourquoi tant de violence ?
Alors, la 3D au cinéma, ça donne quoi sur le plan sonore ? Avant de projeter des bandes annonce de films en 3D, Alain Besse a évoqué les nouveaux systèmes de configurations en 13.1, avec des enceintes disposées en hauteur et au plafond afin d’obtenir un rendu de la position des sources en élévation. Selon lui (aussi), la WFS est une solution d’avenir tout comme l’Ambisonics. Malgré un niveau sonore inférieur à celui d’une exploitation normale, ce fut un déferlement d’effets spéciaux assourdissants. Une fois la lumière rétablie dans la salle, on lisait sur les visages les stigmates d’une crispation que les lunettes 3D avaient peine à masquer. Pourquoi une telle « violence » ? La réponse fut apportée par le mixeur qu’avait invité Franck Ernould, Cyril Holtz : les systèmes de diffusion sonore dans les salles n’ayant pas évolué avec l’avènement des films en 3D, on compense cette lacune en faisant un son plus « efficace » supposé donner une assise à l’image.
- Démocratiser l’opéra
En deuxième partie de l’après-midi, on changeait de décor pour une invitation à l’opéra avec une série de débats animés par Pierre Bouteiller, journaliste, président de la commission des œuvres sonores de la société civile des auteurs multimédia (SCAM) et ancien directeur de France-Musique. Grâce au cinéma numérique et à la montée en puissance des systèmes de retransmission par satellite, il est possible « de briser les murs de l’opéra » pour amener un large public à vivre en direct un évènement exceptionnel de l’art lyrique. En Europe la majorité des opéras étant financée par des fonds publics, « Briser ces murs, c’est faire un bon usage de l’argent public » a expliqué Philippe Agid, ancien directeur adjoint de l’Opéra National de Paris. C’est en 2008 qu’Eutelsat a commencé à travailler sur de telles retransmissions et l’expérience a montré qu’il y a un public pour cette nouvelle forme de spectacle. Le réalisateur y tient un rôle important au travers des gros plans ainsi que des champs et contre-champs permettant de mieux percevoir le jeu des chanteurs. Ces derniers jouent-ils différemment lorsqu’ils savent qu’il y a une captation ? Le ténor Antoine Normand est catégorique. : c’est non car chaque interprète est en communion avec son personnage depuis déjà plusieurs représentations, et depuis longtemps lorsqu’il s’agit du grand répertoire.
- A la recherche de la vibration de la voix
Pour qu’une telle retransmission soit réussie, il doit y avoir une complicité entre les chanteurs et le réalisateur. Don Kent, le réalisateur de la captation des « Noces de Figaro », confirma que sa mission est d’interpréter une représentation sur scène pour la faire passer d’un lieu à un autre lieu en empruntant le langage de l’audiovisuel. Mais cette captation impose l’équipement des chanteurs en micros HF. Ne sera-t-on pas tenté de sonoriser les chanteurs d’opéra, à l’instar des comédiens au théâtre ? Aussi inconvenante que puisse paraître la question devant l’aréopage rassemblé par Pierre Bouteiller – Philippe Agid, ex-directeur adjoint de l’Opéra national de Paris, Olivier Morel-Maroger, directeur adjoint de France Musique, Alain Surrans, directeur de l’Opéra de Rennes, Janine Reiss, chef de chant, Antoine Normand, ténor—, elle fut posée. A l’unanimité, la réponse fut non. Il est vrai que lors de spectacles d’opéra produits sur des scènes comme celles du Palais Omnisport de Bercy ou du Stade de France, soutenir le chanteur par un système de sonorisation s’impose mais la relation entre chanteur et le public n’est pas la même. Pour Antoine Normand, la voix est portée par une vibration d’où naît l’émotion et cette vibration ne parvient plus au public via la chaîne technique mise en place lors d’une retransmission.
- Certains critiques ne font pas dans la dentelle.
Mais qu’appelle-t-il vibration, une notion difficile à traduire dans le langage des professionnels du son ? La projection en soirée de l’opéra « Les Noces de Figaro », diffusé avec un son multicanal 5.1, aura-t-elle permis de répondre à cette question ? Pas si sûr, à écouter les réflexions du public à la sortie. Cet opéra avait été retransmis en direct et en stéréo le 3 novembre sur France 3 depuis l’Opéra Bastille. Pour le diffuser en multicanal avec un système de restitution totalement neutre, l’équipe de Taylor Made System -Patrick Thévenot et Jacques Fuchs- a procédé à une calibration et une optimisation de l’écoute en utilisant l’Optimizer de Trinnov. Le public resté pour ce spectacle de trois heures a pu apprécier la réalisation de Don Kent et comprendre au passage ce supplément de lecture de l’œuvre offert par une telle retransmission, l’ambiance de la salle en moins. Très sévère, une dame qui était présente à l’Opéra Bastille lors de la captation, nous confia : « Ce soir, je n’ai vu que de la dentelle ! »
- Vibration et perspective sonore : le nouveau Graal
Il y avait tout de même davantage ! Mais Antoine Normand, interprète du rôle du notaire enregistrant l’acte de mariage de Figaro, n’a pas ressenti la « vibration » tant recherchée par le ténor. Malgré le travail de Taylor Made System sur l’image spatiale des chanteurs, précise et d’une grande stabilité, le son est hélas resté dans le plan de l’écran. L’effet d’enveloppement ne s’est pas produit et la diffusion des applaudissements sur les enceintes arrière ne fut d’aucun secours. Claude Bailblé aurait-il raison en suggérant le recours à la WFS pour déployer les voix dans la profondeur ? La démonstration de WFS réalisée la veille à l’Ircam lors de l’atelier d’écoute ne lui donnait pas tort. Le déploiement en profondeur aurait été d’autant mieux ressenti que la mise en scène de Georgio Strehler joue beaucoup sur les effets de perspectives. Vibration et perspective sonore sont-elles le nouveau Graal que recherche le public ?
Comme cela avait été rappelé en ouverture de l’après-midi, les professionnels du son ont besoin du public pour progresser. Cette rencontre avec ce public autour d’une œuvre et de tous ceux qui la servent a soulevé de nombreuses questions et mis au jour bien des attentes. La Semaine du Son est donc bien ce révélateur et ce déclencheur de conscientisation du son. En cela, elle fait œuvre utile, une œuvre utile que partage avec elle la CST.